RESTAURATION : QUESTIONS & RÉPONSES
par Sandy Fiol, restauratrice professionnelle

 
 

Pourquoi restaurer ? Quelles restaurations sont possibles ? Sur quels types d’ouvrage ? Quel est l’impact sur la valeur du livre ? 
Le métier de restaurateur de livres anciens est relativement récent et suscite de nombreux questionnements. D’autant que certaines interventions hasardeuses pratiquées par des amateurs ont engendré une méfiance justifiée des collectionneurs.
C’est l’étude de la reliure, des techniques d’impression, des matériaux utilisés et l’analyse des dégradations physiques et chimiques qui orientent les choix d’intervention. On ne saurait donc systématiser les procédures en restauration. Aussi, l’ambition de cet article est d’éclairer le collectionneur sur les possibilités offertes par la restauration et de donner quelques clés simples pour identifier les ouvrages pouvant recevoir une intervention.
Je ne traiterai ici que la production industrielle des XIXe et XXe siècles qui représente la majeure partie des livres animés. Les ouvrages des périodes antérieures soulèvent des problèmes très différents qui mériteraient un article à part entière.

Ce qu’il faut savoir...

Le restaurateur conserve 100% des éléments d’origine et agit toujours dans le plus grand respect historique du document. La restauration traite les dégradations physiques et chimiques et s’articule autour d’un souci de conservation et d’esthétisme. Après restauration, l’ouvrage doit sembler avoir parcouru les années dans de bonnes conditions de conservation. Les règles du métier sont clairement définies par le cahier des charges de la Bibliothèque Nationale de France.

Nous tenterons de répondre aux trois principales questions qui se posent au collectionneur :
1/ Quand restaurer par rapport à la valeur de l’ouvrage et dans quel cadre déontologique ?
2/ Sur quel type de livre peut-on intervenir ?
3/ Sur quels types de dégradations va-t-on engager une procédure et avec quel résultat ?

 
     
 

Valeur de l’ouvrage & déontologie

Les possibilités techniques de restauration permettent d’intervenir dans de très nombreux cas au point que les limites de l’intervention sont avant tout d’ordre financier ou déontologique. La qualité d’un cartonnage d’éditeur peut en effet rarement concurrencer celle d’un incunable et il faut tenir compte de cette réalité dans les procédures envisagées.

Premier point : après restauration, l’ouvrage prend de la valeur.
Pour le choix des ouvrages à faire restaurer, il est impératif de respecter deux règles de base :

- l’une d’ordre déontologique : 75% des éléments d’origine doivent être présents.
En deçà, on considère que l’ouvrage n’est pas restaurable et on se contentera d’une procédure de conservation.
En principe, on n’intervient pas dans le motif en restauration de documents graphiques. Mais le cas de la reliure industrielle est un peu à part. Selon les pays et les professionnels, on pourra trouver différents degrés d’intervention, en général en remplaçant la partie manquante soit par une reproduction reprographique de bonne qualité, soit par l’élément prélevé sur un autre exemplaire. Cette question divise les professionnels car, en mettant en cause l’intégrité de l’ouvrage, elle pose un problème éthique.
Cette règle induit des garde-fous puisqu’il ne peut s’agir que d’un manque partiel, sur une zone déterminée. En cas de nombreux manques, le livre ne sera pas restauré. En ce qui concerne la récupération sur un autre exemplaire, elle ne devrait être pratiquée que si ce dernier est très détérioré et n’a plus aucune valeur patrimoniale.
Il faut remarquer que ces procédures restent toujours décelables lors d’une observation attentive. Dans tous les cas, les plus grandes réserves sont indispensables.

- l’autre règle est liée à la valeur de l’ouvrage : le principe est que la restauration ne doit pas dépasser la valeur de l’ouvrage après restauration. On peut anticiper sur la valeur à venir mais investir 250 euros sur un livre coté 50 n’est pas raisonnable. Reste la valeur sentimentale mais, là encore, on déconseille un investissement trop lourd sur un ouvrage de peu de valeur. La moyenne pour une intervention très complète sur un cartonnage d’éditeur se situe en général entre 150 et 250 euros HT. (Ces tarifs sont donnés à titre indicatif et peuvent évidemment varier d’un professionnel à l’autre et selon le degré d’intervention. Bien sûr, les livres à système constituent un domaine particulier avec des problèmes spécifiques et des cas de figure très variés).
On considère que l’intervention va améliorer l’état de l’ouvrage «d’un niveau», par exemple de bon à très bon. En revanche, un ouvrage en piteux état ne deviendra jamais un excellent exemplaire.
On peut tirer quelques conséquences de cette règle. Dans le cas général, elle induit qu’une restauration n’est pertinente que pour des livres de bonne tenue générale. En effet, un titre en mauvais état ne peut devenir que moyen, ce qui présente peu d’intérêt pour le collectionneur. Dans le cas de livre particulièrement rare, on peut néanmoins envisager l’intervention, car l’ouvrage restauré aura une certaine valeur même dans un état moyen. Parfois, on peut opter pour des procédures intermédiaires pour s’adapter à la valeur de l’ouvrage. Mais on se heurte alors à un problème d’ordre technique: en effet, la plupart des interventions nécessitant un démontage au moins partiel de l’ouvrage, il devient difficile d’effectuer une intervention ponctuelle et peu onéreuse.

Quels types d’ouvrages ?

Certains types d’ouvrages ne peuvent tout simplement pas être restaurés. D’une manière générale, il faut retenir que les ouvrages postérieurs aux années 70 sont très rarement restaurables sauf sur des interventions d’entretien et de nettoyage limitées (cf. « support »).

Trois éléments seront à prendre en compte :

- La reliure : les livres animés présentent des montages spécifiques et beaucoup plus variés que ce qu’on rencontre dans les cartonnages traditionnels. Les pop-ups avec des montages de 1/2 reliure toile ou papier sont presque toujours restaurables.
En ce qui concerne les animations, on est souvent amené à les restaurer sans démontage, ce qui entraîne des procédures complexes, tout à fait envisageables sur quelques déchirures mais coûteuses si le livre présente de nombreuses dégradations.

- Les techniques d’impression : les interventions sont toujours possibles en reliure industrielle. Seul le résultat après restauration peut varier selon le type d’impression. Un cas particulier : les chromolithographies en papier gaufré et verni, extrêmement fragiles, qu’on rencontre sur des cartes animés du XIXe siècle, par exemple et sur lesquelles on ne peut pas intervenir.

- Le support : l’analyse chimique du carton et du papier va orienter les procédures. Il est important de distinguer les ouvrages sur papier mat et ceux sur papier couché ou brillant. Le résultat sera plus limité pour la deuxième catégorie, notamment en ce qui concerne les problèmes de plis, de gauchissement dans le carton. Les interventions seront toujours un peu plus visibles sur ces types de papiers.
Quant aux papiers pelliculés des ouvrages plus récents, on ne peut en général pas les restaurer. Ce film est la plupart du temps limité aux couvertures et la restauration des pages intérieures est parfois envisageable. Pour ces ouvrages, mieux vaut demander conseil au restaurateur.

 
     
 

Quels types de dégradations ?

Voici un récapitulatif des détériorations les plus courantes avec les possibilités d’intervention propres à chacune. Là encore, chaque cas est particulier et ces éléments sont donnés à titre indicatif.

Dégradations chimiques

Les procédures à envisager en cas de présence de moisissures sont difficilement applicables à ce type d’ouvrage. On peut néanmoins envisager une intervention si le micro-organisme n’atteint qu’une zone limitée.

 
     
 

• Foxing et jaunissement : autre problème lié à l’humidité et l’exposition à la lumière, la présence de petites taches rousses (foxing) qui signalent une acidité du support. De par la nature des papiers utilisés pour ce type d’ouvrage, elles sont très fréquentes. Souvent, le papier (particulièrement la couverture) présente également un jaunissement sur l’ensemble de la surface. Techniquement, on sait résoudre ces problèmes mais la mise en œuvre suppose des procédures d’intervention coûteuses. La pertinence d’une intervention dépend donc de la valeur du livre. Dans tous les cas, on n’interviendra que sur les couvertures et uniquement sur papier mat.

• Traces de mouillures suite à une inondation ou des projections : elles sont plus ou moins réversibles selon leur constitution. On ne pratique cette opération que sur les couvertures sur papier mat ou sur un cahier intérieur (à condition que le nombre de feuillets soit limité).

 
         
 
 
         
 

Dégradations physiques

Dégradations physiques liées à de mauvaises manipulations et/ou de mauvaises conditions de stockage : très fréquentes vu leur destination à un jeune public, on peut les résoudre plus ou moins efficacement.

 
         
  • Éléments décollés : le remontage est possible, dans tous les cas de figure.  
         
  • Plis intempestifs : sur la couverture, le problème sera entièrement résolu sur papier mat, partiellement sur papier brillant. En ce qui concerne les animations, on pourra en général réduire le pli et renforcer la résistance mécanique.  
         
 
 
         
  • Déchirures (du papier ou du carton) : dans tous les cas, la restauration est envisageable et sera plus ou moins visible selon le support. Les déchirures dans les animations sont en général restaurables. Mais la procédure est délicate et coûteuse, donc à réserver à des ouvrages de valeur en cas de nombreuses déchirures.  
         
 
 
         
  • Coins affaissés, abîmés, avec ou sans manque : c’est un classique qui peut-être restauré quel que soit l’ouvrage avec un résultat plus ou moins visible selon le type de papier.  
         
 
 
         
  • La toile de 1/2 reliure (sur certaines structures) : elle est toujours restaurable (ou changée, en cas de très importante dégradation. Dans ce cas, on respecte évidemment la couleur d’origine et on patine pour respecter l’atmosphère générale).  
         
 
 
         
  • Restauration des coiffes (rebord en peau recouvrant le haut et le bas du dos d’un livre relié – sur les cartonnages, rempliage du papier ou de la toile) : elle est le plus souvent envisageable dans les ouvrages antérieurs aux années 70.  
         
 
 
         
  • Gribouillages, notes manuscrites : encore un cas de figure très fréquent. Les résultats après restauration sont variables selon le support, l’intensité de la pression et surtout le médium utilisé. Ce qu’il faut savoir : le stylo bic, les feutres sont indélébiles. On peut estomper légèrement sur une zone limitée mais d’une manière générale, il faut éviter les ouvrages présentant des grandes zones de gribouillages sur le motif.  
         
   
         
  • Réparations intempestives au scotch : on peut procéder à la dépose de l’adhésif mais on ne peut pas effacer les traces jaunes parfois laissées par le scotch; on se contentera d’un estompage. Cette procédure étant délicate, le retrait de grandes zones aura un impact significatif sur le coût de la restauration.
Pour des collages intempestifs, la situation varie selon le type de colle ou de collant utilisé et bien sûr la surface concernée. L’intervention est le plus souvent envisageable, par exemple sur les étiquettes.
 
         
 
 
         
  • Manques et lacunes : c’est le point le plus délicat car, comme on l’a vu, il peut soulever des questions d’éthique. Techniquement, la restauration est le plus souvent envisageable. Déontologiquement, on ne restaurera un livre que si 75% des éléments d’origine sont présents.
La restauration est également possible sur des lacunes dans le corps d’ouvrage.
 
         
 
 
         
 

En conclusion, on observe que la plupart des dégradations peuvent être traitées, à un degré ou à un autre. Les choix de procédure dépendront essentiellement de questions déontologiques et de la valeur du livre animé. Encore une fois, chaque cas est particulier et doit faire l’objet d’une analyse par un professionnel.

Texte et photos © Sandy Fiol pour Livresanimes.com
Livresanimes.com remercie chaleureusement Sandy Fiol pour sa participation et vous recommande cette restauratrice professionnelle.

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